ce soir, nikki avait laissé ses pieds la guider sans vraiment tenir compte de l'endroit où elle allait. il est tard. tôt peut-être. elle n'en sait rien. sûrement pas une heure pour être dehors lui dirait son père. rien à faire. nikki, elle ressent ce besoin de s'évader parfois. de laisser s'échapper ses doutes et ses espoirs pour embrasser la sérénité. les écouteurs vissés sur les oreilles et les mains glissées dans sa malheureuse veste en jean, la gosse presse le pas espérant se réchauffer, fredonnant un air qu'elle ne connait que trop bien. le regard baissé, ce n'est que lorsque ses pieds rencontrent l'herbe humide qu'elle lève la tête pour admirer le paysage qui s'offre à elle. presque instinctivement, elle s'est laissée guider jusqu'à l'orée du lac. bien qu'habituée à cette vue splendide, nikki, elle est toujours aussi estomaquée. le reflet de la lune qui se reflète dans l'eau immobile a un effet presque hypnotisant si bien qu'elle en oublie presque le monde alentour. c'est si reposant, elle ferme les yeux quelques secondes. minutes peut-être. mais c'est ce bruit qui la sort de sa torpeur. ce bruit qu'elle a si souvent écouté les paupières closes avant de s'endormir. dans ce silence nocturne, on ne perçoit que ça. presque imperceptible. le bruit de la plume qui gratte le papier. ça se creuse dans son estomac, évoquant de vieux souvenirs ancrés aux tréfonds de son âme. le genre qui lui met la tête en vrac. elle suit la douce mélodie, et finalement, son regard se pose sur une silhouette qu'elle reconnaîtrait entre mille. il est de dos, penché sur son papier. concentré. si près et si loin à la fois. et y a le sol qui se dérobe. le monde qui se met à tourner. idiote. comme un murmure au fond d'elle-même. s'échapper. encore. toujours. elle pivote, discrète. plus ou moins. le froid qui lui ronge les os et pénètre dans ses entrailles. et y a son pied qui se pose sur une branche. un craquement qui rompt le silence. elle s'arrête net. priant presque pour qu'il ne l'ait pas entendue. mâchoire serrée, elle hésite entre courir et se retourner. fuir ou abandonner.

@asmar genesis

y a constamment des lignes qui tournent dans ta tête. des bribes de phrases qui tournent en rond pour pas que tu les oublies, qui te supplient de les coucher sur le papier. t’es un esclave de leurs désirs, dépendant de leur bon vouloir. elles dictent ta vie, ton humeur, ton sommeil. ce soir l’alcool coule à flot et la musique résonne à en faire exploser les murs, tu t’es encore fait entraîné en soirée et on va encore te demander de rapper et putain qu’est-ce que t’aimes ça. au-dessus de la foule comme si t’étais devenu quelqu’un, tu t’imagines capitaine du navire de ceux qui ont faim. y a tout qui tourne autour de toi, la musique, les lumières, les gens. tu repenses à ton enfance, aux gars de la plèbe, tu repenses à nikki et t’es reparti pour une heure de haine déversée au-dessus des visage en trans. quand t’es vidé tu redescends, t’aurais bien terminé la nuit dans les bras d’une succube mais la soirée t’a laissé un goût amer. tu te casses et t’as oublié ta veste. c’est tes pieds qui commandent et ils veulent voir l’eau, loin de la civilisation. tu te poses devant l’eau et tu sors l’outil magique, ce petit carnet défoncé que tu gardes dans ta poche arrière et le reste d’un stylo bleu au tube en plastique disparu. tu te racles la gorge comme pour demander l’attention de l’univers et t’écris sur la misère du monde, sur les visages qui t’ont souri, sur elle. t’en reviens toujours à elle, c’en est consternant. une meuf parmi les meufs à qui t’aurais donné ton âme pour peu qu’elle en veuille. t’entends des pas et tu soupires, on vient de trouver ton petit coin de paradis. Tu te retournes pour constater le délit et ton estomac se noue quand tu vois nikki. t’as envie de gerber et d’aller la cogner en même temps. t’as le myocarde qui s’emballe et les muscles qui se tendent. merde. t’aurais mieux fait de pas sortir ce soir. tu la hais de te mettre dans cet état avec son air de chien battu. t'as un de ces sourires mesquins qui déforme ton visage quand t'aperçois le visage de nikki quand elle s'aperçoit que tu l'as remarquée. t'as mauvaise mine, nikki. j'sais pas c'que tu prends mais tu devrais arrêter, ça te va pas du tout.

dans la tête de nikki c'est l'bordel, un flot incessant de souvenirs qui se bousculent. l'goût du sang dans la bouche, l'monde qui se met à tourner autour d'elle. ce soir elle a laissé les potes à la coloc. pas la tête à s'mettre la tête à l'envers avec les autres. pas l'envie d'se mêler à la foule. et pourtant. elle aurait pas dû. si elle avait su. si on lui avait dit qu'il serait là. elle serait restée dans son lit. protégée. y a de l'amertume dans l'air. mélange de colère et de regrets. nikki, elle sait qu'elle a déconné avec lui. qu'elle lui a pas donné assez. qu'elle a pas donné comme elle voudrait. et elle s'retrouve comme une conne plantée là. à espérer. espérer qu'il s'rende pas compte. qu'il la reconnaisse pas. trop tard. les regards qui se percutent. nikki, elle se sent tiraillée. cours putain. reste pas là. visage figé, langue liée. t'as mauvaise mine, nikki. j'sais pas c'que tu prends mais tu devrais arrêter, ça te va pas du tout. pire qu'un coup dans l'estomac, entrailles emmêlées. nikki elle a envie de le pousser. de le laisser couler. qu'il disparaisse. à jamais. va te faire foutre. ça lui brûle les lèvres. c'est tout c'que t'as trouvé à dire ? lèvres pincées, elle est vexée la princesse. fin de la conversation. elle pourrait faire demi-tour, mais y a quelque chose qui la retient. fil invisible. elle a l'cœur en miettes, la rage au ventre. y a cette voix qui murmure dans les tréfonds de son palpitant. un écho lointain. les regrets. la fierté. elle a pensé plusieurs fois à l'rappeler. pour lui dire. lui dire qu'elle avait merdé. mais il l'avait abandonnée. et y a son regard qui s'baisse sur son calepin et son stylo toujours entre ses doigts. et nikki elle s'doute. elle s'doute qui doit parler d'elle dans ses textes. t'as écrit des trucs sur moi ? un signe de tête vers son papier. curiosité malsaine. et nikki, elle meurt d'envie qu'il lui dise oui au fond. parce que ça voudrait dire qu'il pense à elle parfois. même si c'est pour l'insulter. pour la maudire. envoyer son âme en enfer. tant qu'il pense à elle, nikki, ça lui suffit. elle a presque oublié le froid qui lui ronge les os. l'air glacial qui s'infiltre dans tous ses pores. lèvres bleutées, cœur brisé.

@asmar genesis