L’obscurité de la nuit n’est pas si différente du chaos. On se noie dans son opacité épaisse tout en s’y perdant, encore et encore jusqu’à finalement trouver la lumière. Pio, lui, aime penser que le chaos est un vieil ennemi. Un vil personnage qui l’a piégé dans ses filets un soir de mars et l’a privé d’un sens vital : la vue. Pendant longtemps il en a voulu à la terre entière : les médecins n’avaient pas été suffisamment compétents pour soigner ses maux, ses proches n’avaient pas été d’un soutien exemplaire pour lui faire oublier qu’il finirait par appartenir à un monde où les couleurs, les formes, n’ont plus leur place. Contrairement à ce que les gens pourraient penser, il ne déteste pas la nuit. Au contraire, c’est le moment de la journée qu’il préfère. Lorsque le soleil cache ses lueurs irradiantes pour laisser place à la lune, alors il retrouve un degré d’égalité. Car dans l’obscurité la plus totale, nous sommes tous aveugles à notre façon.

Ce soir, l’air est particulièrement doux et plus agréable que d’ordinaire. Pio le sait, car il répète cette marche nocturne tous les soirs avant minuit. Il a pour habitude de rejoindre l’entrée du bois pour se délecter des odeurs que peut lui offrir la nature à chaque saison. Il n’est jamais seul puis son fidèle compagnon, un chien dressé pour le prévenir de dangers potentiels, l’accompagne à chaque balade. Cette nuit pourtant, une autre odeur, une odeur du passé, retient son attention à l’orée de la forêt. L’alcool enivre son nez jusqu’à lui faire froncer les sourcils. Il secoue alors nonchalamment la tête, comme pour chasser cette idée de son esprit. Quelques craquements au sol viennent alors trahir la présence d’un étranger. Présence qui fut rapidement confirmée par les aboiements de son chien. Si vous comptez picoler en paix, sachez que votre odeur se repère à quelques mètres d’ici, dit-il calmement avant de chercher à tâton un arbre pour s’y adosser.

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