T’as le cœur qui cogne dans ta poitrine, qui s’emballe. T’enfiles ta veste, trébuches sur le paillasson, pousses un son guttural. T’as jamais été friand des appels des collègues au beau milieu d’la nuit, les heures de sommeil trop courtes, les p’tits malfrats cueillis au creux de la pénombre. T’es toujours plus cassant, plus brutal, plus impatient qu’à ton habitude. T’avais pensé que monter en grade réduirait le nombre d’appels nocturnes, douce illusion qui s’était rapidement dissipée au fil des semaines. Qui dit plus de responsabilités dit plus d’emmerdes, et tu te demandais parfois si t’avais vraiment envie de poursuivre l’objectif planté dans ta cervelle par un paternel pourri jusqu’à la moelle. Toujours est-il que là, tout d’suite, t’aurais tout donné pour qu’on te sorte du pieu pour un camé crevé au fond du caniveau ou un p’tit con qui avait décidé de braquer une épicerie de nuit. « C’est ta sœur, elle est au trou. » Quand t’avais entendu ces mots, t’avais repris possession de tes moyens vitesse grand v, plus efficacement qu’un sceau d’eau jeté en pleine gueule. Ta sœur. Joan. T’avais pas pensé que ça irait si vite, jamais t’aurais imaginé que l’enquête exigerait un interrogatoire de ton aînée si tôt. T’avais à peine découvert son implication qu’on l’enfermait déjà derrière des putains d’barreaux. TES putains d’barreaux. Tu grimpes dans ton pick-up déglingué et débarques au poste la mine défaite, un épi dans la tignasse et des cernes sous tes yeux clairs. Faut dire que les verres encaissés la veille en compagnie de la joyeuse bande ont marqué ton corps, les joies des années qui s’ajoutent au compteur. Tu te diriges vers les cellules comme un missile à tête chercheuse, la peur au bide, le pas pressant. T’es persuadé de trouver la crinière rousse perdue au milieu des autres pouffes d’un soir, les ongles rongés. Mais quand tu te plantes devant la cage, un souffle bruyant s’échappe de ta bouche. Tu t’accroupis, la pression relâchant enfin tes muscles. « Putain la garce … » Tu grognes dans un murmure, le front heurtant le fer glacial. Ton regard bleu se fixe sur une silhouette recroquevillé dans un coin, une blonde dont le nom a été imprimé à de multiples reprises à côté du tien ces derniers mois. La bâtarde. Faudra vraiment que t’apprennes à tes collègues que ça, c’est pas ta sœur. Des sœurs t’en as que deux, et c’est pas parce qu’un spermatozoïde de ton père s’est égaré que ton arbre généalogique a changé. Tu te relèves et marches vers la sortie, tes doigts s’accrochant à ta chevelure désordonnée. « Tu la sors pas d’ici ? » Tu t’arrêtes, lui jettes un regard clairement réprobateur. « T’as pas autre chose à foutre Penderson, comme aller m’faire un café par exemple ? » T’ordonnes, peu aimable. L’autre hésite, puis finit par s’exécuter. Choix judicieux. [...]
Tu t’es rendormi, t’as pris ton temps. T’as volontairement laissé croupir Muna pour lui apprendre la vie, pour lui faire comprendre que t’es pas à sa disposition pour venir la sortir des emmerdes chaque fois qu’elle claque des doigts. Tu l’aurais bien fait poireauter quelques heures de plus, si ça n’avait tenu qu’à toi. Mais la pitié avait fini par te saisir, et tu t’étais décidé à intervenir tel un preux chevalier. Tu tapotes sur le volant en attendant que le gros te ramène la mioche, rajustant tes lunettes de soleil sur ton nez. Elle fait même pas semblant d’être reconnaissante quand elle pose son p’tit cul ingrat sur le siège de ta bagnole. L’insolence dans la rétine, elle te défie. Tes lippes se déforment, s’étirent, se moquent d’elle. Une baston, tu trouves ça risible. « Rien ? Me débarquer du lit à 4 heures du mat’ parce qu’ils s’imaginent que j’en ai quelque chose à foutre de ce qui peut bien t’arriver, c’est pas ce que j’appelle rien. » T’annonces ton humeur, histoire que ce soit bien clair pour tout l’monde. « T’es un vrai déchet Muna, tu crois que tu vas foutre une branlée à qui avec ta dégaine de crevette ? » Parce que tu l’imagines mal s’retrouver mêlée à une baston, à part pour arracher des faux-cils et filer des coups de talon. Mais après tout Muna tu n'la connais pas vraiment, tu ne t'y intéresses pas plus que ça.