vingt-trois heures passées. karla elle veut pas rentrer chez elle, elle a pas envie de retrouver la solitude et le sommeil léger. alors elle erre dans les rues encore et encore jusqu’à ce qu’un bar croise sa route. elle entend les voix, le grésillement des lèvres trop près du micro et karla ça l’attire alors elle rentre d’un pas décidé. de toute façon, elle a rien d’mieux à faire ce soir. les pas qui la dirige machinalement vers le comptoir, elle commande son verre de ‘sky alors que tu viens prendre place sur la scène emménagée. t’ouvres la bouche, les premiers verbes, les premières rimes qui sortent et dégomment en un claquement de doigts son esprit. karla qui s’abreuve de ton chant, de tes paroles acerbes. sanglantes. les coups de haches que tu dégaines beaucoup trop vite pour que karla puisse les esquiver, elle a mal à ta place. elle rêve à ta place. elle vit tes histoires dans la prose balancée. et toi, t’es debout contre le monde, tu hisses ta voix pour que quelqu’un te réponde. ils écoutent, comme karla. pas autant, pas vraiment non plus, ils écoutent sans comprendre. sans savoir.  elle s’envoie le liquide d’un seul coup sec, tu lui fais mal au crâne de ce trop plein de vérités. elle tombe sous le charme karla, des histoires que tu racontes et de ton timbre rauque. elle s’amourache au fur et à mesure que tes lèvres remuent, que les mots brûlent et s’éteignent contre son âme. un sentiment de déjà-vu, déjà vécu qui la submerge, qui l’étouffe et elle est à deux doigts de l’explosion intérieure. mais retour au silence, ton numéro est terminé et karla elle sait qu’après toi, les autres seront fades. alors elle lâche un billet au barmaid avant de ressortir aussi vite qu’elle est entrée. fouille dans sa poche, attrapant le joint déjà préparé qu’elle entame contre le mur froid. elle crache la fumée épaisse comme si ça l’a soulagée, elle repense à tout c’que tu disais. ça tourne, tourne et tourne encore tout là-haut, comme si tu venais de la contaminer. karla, prise par le venin de tes poèmes brutaux. elle vacille, elle sait même plus si c’est toi, le joint ou le whisky ingurgité trop rapidement. elle veut pas croire que c’est toi, elle veut pas qu’on sache la toucher en plein cœur. et voilà que karla elle repense à avant, à sa pauvre vie de batarde qu’elle a dû endurer. elle pouvait pas finir autrement que comme ça, elle pouvait pas finir proprement de toute façon. c’était écrit, c’était prédit, karla elle devait finir vide.

karla elle a du mal à s’en remettre, on venait d’lui tordre l’échine dans l’ombre. raviver les souvenirs douloureux, le passé incandescent qu’elle peine à oublier. et puis toi, tu débarques avec tes mots griffonnés et tu fais en sorte que tout s’embrase. karla elle te déteste, littéralement. elle te déteste. t’es le boomerang qui lui revient à la gueule, t’es le déclencheur de la douleur, du mauvais temps, des mauvais jours. et y’a ses cicatrices qui brûlent maintenant, son corps se crispe pour faire face aux sensations dérangeantes mais rien n’y fait. c’est là, ça bouge pas, ça persiste à picoter alors que karla elle pensait avoir tourné la page. définitivement. karla elle s’rend compte qu’elle se ment toujours et encore, qu’elle se plaît à gober que plus rien ne l’atteint. toi, tu viens de lui prouver que c’est faux. que ça fait toujours mal, que les démons ne l’ont toujours pas quittés. elle tire encore une taffe dans le désespoir d’un clair de lune, elle aspire la fumée toxique comme si c’était la dernière. comme si ça pouvait la réparer, l’aider à reprendre son souffle. mais y’a ta voix qui n’arrange rien, ta présence qui pèse lourd et vient la rattraper de son suicide psychologique. -et donc ? qu’elle réplique froidement. son regard n’ose même plus te regarder, pourtant elle le fait quand même. de loin, mais elle le fait. - j’suis pas l’abbé pierre. elle t’aime pas karla. pour tout ce que t’as dit t’aleur, là-haut. toutes ces vérités qui n’sont pas bonnes à dire. elle te déteste d’avoir tapé en plein dans le mille.

karla elle aurait pu apprécier l’humour s’il venait pas d’toi, de tes grands airs de gueules cassées. elle aurait pu bien t’aimer si elle ne t’avais pas entendue parler. elle en connaît déjà trop sur toi, karla elle veut pas te côtoyer. elle veut pas rattraper les histoires qu’elle a préférais fuir toute sa vie. trop lâche, trop faible, trop fragile peut-être bien. elle lâche un sourire sarcastique, un faux rictus en s’disant qu’à force de pas le regarder il finira pas se lasser. se casser le clebard du coin de rue. mais tu continues, persiste, la pique au vif et karla c’est l’étincelle qui s’embrase d’un seul coup. d’un seul mot. karla c’est la fougue, le feu, l’enfer qui se réveille beaucoup trop vite. alors elle se décolle de son mur, avance jusqu’à toi pour recracher un énième halo de fumée dans ta gueule. - non.. j’crois que c’est surtout d’avoir entendue trop d’merdes à la minute qui m’a gavé. elle te toises de haut en bas, de son regard blindé d’arrogance. dédaigneuse, karla elle se fait croire supérieur quand elle est déjà six pieds sous terre. un coup d’épaule en passant, karla te dépasse de quelques mètres avant de faire demi tour. - t’as raison, je vais tenter le slam, y’aura p’têtre plus de talents.. tu devrais essayer aussi trouduc ! elle termine par lever son majeure, s’éloigne du bar, de toi et d’ta personne qu’elle a envie de tabasser.

karla qui provoque, qui pique, qui veut toucher là où ça fait mal. karla qui joue avec les flammes sans en connaître vraiment les dangers. gamine qui veut jouer la grande, gamine qui pourrait n’pas assumer. pourtant elle continue, toujours plus et toujours plus fort. le besoin d’adrénaline p’têtre, l’envie de frissonner de craintes ou juste simplement la haine qui déborde un peu trop de ses entrailles. elle était à deux doigts de t’échapper mais tu l’as rattrape, féroce, karla elle le voit à ta tempe qui gonfle quand tu t’approches qu’elle te met à bout. doucement. que la gamine elle sait te faire vriller. tu serres son poignet, elle tire dessus instinctivement pour se débarrasser d’toi mais en vain. tu stagnes face à elle, elle fronce les sourcils sans réellement te prendre au sérieux. elle soupire, insolente, lève même les yeux au ciel pour t’faire comprendre qu’elle te prends pas au sérieux. gamine effrontée qui veut fracasser tout ton sang froid. - t’as finis ton petit numéro à deux balles de grands caïds des bacs à sable ? qu’elle réplique les yeux dans les yeux, même son front collé au tient, même devant ton poings qui s’forme petit à petit. - t’es pathétique.. tu m’fait pitié. qu’elle crache dans un sourire mesquin, secouant la tête de gauche à droite avant d’éloigner son visage. puis tu relâches son bras, la repousse en récupérant son joint au passage. elle te laisse faire, ce sourire provocateur qui ne s’efface pas. - j’t’ai entendue ouais.. et comme je t’ai dis, c’était de la merde. tu dois être dans l’même style que tes textes.. elle marque une courte pause, hausse les épaules en levant les paumes de ses mains vers le ciel comme pour marquer l’évidence. - une grosse merde. elle pouffe un dernier rire, recule doucement pour accentuer les mètres qui s’installent petit à petit. - quand j’rencontrerais un grand, j’baisserais peut-être les yeux. pour l’instant.. elle regarde furtivement à gauche, à droite avant de reposer le regard sur toi. - j’vois que dalle.